Le jour était tombé, ne s'était pas fait trop mal, mais avait préféré laisser sa place à la nuit... Et la nuit avait étendu son manteau sombre sur toute la région. Ca n'avait été que lorsqu'il fit assez sombre pour qu'on puisse voir apparaître dans le ciel les petites lueurs brillantes des étoiles qu'il s'était décidé à sortir de l'endroit où il habitait.
Au tout début, lorsqu'il était arrivé dans les environs, il avait investi une petite cabane très fonctionnelle non loin de la forêt... L'ennui avec cette maisonnette, c'était que les gens la voyaient de loin, et venait y frapper pour tout et n'importe quoi, l'un avait perdu son chemin, l'autre voulait vendre de quelconques objets ; en bref, c'était un défilé constant de gens, ou presque... Et ce n'était pas qu'Ansiktet ne voulait pas répondre, et ouvrir mais... Non, en fait, il ne voulait réellement ni répondre ni ouvrir cette porte.
Alors, un jour, il avait réuni ses possessions, et était allé à la recherche d'un habitat plus discret... Et il avait trouvé un coin sympa, situé à à peine cent mètre de la cabane en question... Bon évidemment, ça faisait un peu sauvage, puisque ça n'était, en somme, qu'une grande et large galerie naturelle à flanc de colline, mais une fois l'étrangeté de la chose passée, il devenait évident que cette caverne était bien plus sympathique à habiter que la cabane.
Prenez le chauffage, par exemple. Dans la cabane, il fallait aller chercher du combustible, enflammer le combustible, entretenir l'enflammement, faire attention que tout ne prenne pas feu... Bref, un chemin de croix. Dans la caverne, c'était bien moins contraignant : orientée plein sud, la pierre captait la chaleur du soleil durant la journée... Oui bon, évidemment, si l'on s'enfoncait plus avant dans les profondeurs de cette grotte, ça devenait froid et humide. Mais Ansiktet s'en fichait étant donné qu'il squattait seulement les quinze premiers mètres, à tout casser. D'ailleurs, 'squatter' n'était pas le terme exact ! Il avait aménagé l'endroit, cela ressemblait à une vraie maison ! Une maison de pierre, solide, parfaite, dont l'entrée discrète à la base était en sus cachée - c'était cela qui l'avait séduit, tout particulièrement - par un pan de roche.
Il trouvait son habitat très, très agréable, et ce, même si jamais personne d'autre que lui n'y était entré... sauf quelques oiseaux sans cervelle qui entraient sans réussir à retrouver la sortie ensuite, voletant affolés sous les imprécations du proprio des lieux qui n'avait pas grand monde à qui parler, et qui n'allait pas louper une si belle occasion d'engueuler quelqu'un, et se cognant contre les parois, ces andouilles de piafs, et, ah oui ! une fois, un petit lapin au nez rose et mobile, tout rond, apeuré et égaré qui, lui non plus, n'était plus ressorti, mais pour d'autres raisons - faut bien se nourrir...
Donc bref, ne nous égarons pas, ce soir là, Ansiktet avait quitté la caverne dès que la forêt se fut totalement assombrie. Cette forêt était un chouette endroit, mais il se méfiait de certains endroits, car c'était un endroit réputé pour accueillir des couples en mal de balade romantique. Il n'en avait jamais fait et n'en ferait jamais - tout objectif qu'il était devenu, mais après une décennie à relativiser, il était arrivé à la conclusion qu'il y avait tout de même des choses plus dramatiques dans l'existence.
Il prit le chemin d'un petit coin de forêt qu'il avait toujours connu désert, assez guilleret : il aimait bien ces virées en forêt... en plus, il pouvait parler aux bestioles et aux arbres, c'était déjà mieux , dans le genre interlocuteur vivant, que les murs rocheux de la caverne - à qui il parlait tout de même, il n'allait pas s'arrêter à un si petit détail, hein...
Il marcha une petite demi-heure, lancant des salutations cérémonieuses aux touffes de fougères et aux bruissantes ondulations sous les ramures, qui trahissaient le carapattage d'un petit animal à son approche, et finit par s'arrrêter pour souffler, dans la petite clairière qui lui servait d'étape, car lorsqu'il se rendait en forêt, c'était toujours pour plusieurs heures. Il ramassait quelques plantes et quelques baies par-ci , par-là, posait peut-être un ou deux pièges pour coincer un ou deux rongeurs, mais surtout, accomplissait cette escapade comme une visite de courtoisie vicinale...
A noter que même lorsqu'il s'adressait aux végétaux, il gardait invariablement la tête soigneusement penchée en avant, caché derrière son rideau de cheveux, et ne s'orientait, en marchant, qu'en jetant des regards furtifs au chemin... Furtif mais insistant, la vue de son oeil survivant était pathétiquement basse... En dehors de cela, il gardait les yeux fixés sur le sol en permanence. Ce n'était qu'une habitude à prendre ; après toute ces années, il ne trébuchait même plus, même en terrain inconnu.
Il décida de rester là un petit moment, assis sous un arbre, et déclarant à ce dernier.
"C'est presque la pleine lune, non ?... Le ciel est dégagé ces jours ci, on la verra bien lorsqu'elle sera ronde..."
L'arbre ne répondit pas, évidemment, mais cela lui suffit, et, satisfait, se tut quelques instants.