Tout était paisible dans cette petite boutique un peu en retrait. Un petit endroit chaleureux et calme, où le silence profond et épais, moelleux comme un empilement de coussins, n'était qu'à peine égratigné par le tic-tic régulier d'un nombre respectable d'horloges et petites montres en tous genre. Quoi de plus normal, au sein d'une horlogerie ?
Rien ne bougeait dans cette salle de taille moyenne, encombrée tel un cauchemar de femme de ménage, et les rares clients qui s'y attardaient de temps en temps devaient littérallement se frayer un passage entre les meubles, et les appareils posés à même le sol, pour entrer, y evoluer, et sortir. Cependant, il n'y avait personne dans l'horlogerie, en cette jolie matinée qui s'annonçait radieuse dans le merveilleux royaume d'Akiyu.
Aucun client ou curieux n'avait encore pointé son nez, et le tenancier de cette petite boutique n'était pas visible à cet instant.
Leandre profitait, en réalité, de chaque moment d'accalmie, et ils étaient nombreux, ma foi, pour foncer dans son arrière boutique, une pièce plus étroite des plus singulière. Tout un côté servait de remise, c'est à dire, en langage leandrien, un gros tas de marchandises en vrac, d'horloges qui émettaient à intermittences régulières des COUCOU ou des TUT-TUT (oui, ça varie) de contrariété ou de lassitude... du moins pouvait-on l'imaginer. L'autre moitié de la pièce était spéciale. C'était l'atelier de Leandre, un chaos cauchemardesque d'où il tirait les objets les plus singuliers et les plus inutiles que le monde ait connu... Et, bien sur, ses montres et ses horloges.
Elle était assez sombre, malgré la petite lucarne qui donnait à l'arrière. Il avait choisi ce modeste pas de porte à cause de cette petite lucarne dans l'arrière boutique, pour tout dire. Il y passait un temps fou, et un peu de lumière n'était pas pour lui déplaire, sans compter qu'il pouvait facilement aérer le local sans que la boutique ne se voit envahir de fumée. Car ça arrivait ponctuellement... Certains de ses petits mécanismes rendaient vite l'âme pour cause de surchauffe, et, selon leur configuration et ce qu'ils contenaient, il leur arrivait de dégager, en succombant, quelques nuages fort opaques.
Le fait était que Leandre partageait son temps entre l'horlogerie de pure tradition, et des inventions censées changer la face du monde, comme cet ouvreur de porte, par exemple. L'appareil se présentait sous la forme d'un horrible gros tas de rouages de quinze kilos, à placer "discrètement", selon Leandre, à côté de la porte à ouvrir. Une petite tablette mince montée sur ressort devait se poser au sol, au pied de la porte. L'appareil était - toujours censément - prévenu de l'arrivée de quelqu'un par la variation de poids, lorsque ce dernier marchait sur la tablette, et actionnait la poignée pour ouvrir la porte et dégager le passage.
Leandre l'avait testée deux fois. La première lui avait valu de se prendre la porte en plein visage - oh oui, le robot avait bien ouvert la porte... en la poussant au lieu de la tirer - et la seconde, de la voir se refermer sur lui, avec un résultat record de trois côtes fêlées et deux doigts cassés.
L'ouvreur de porte avait été mis de côté pour remédier à ses petits dysfonctionnements... Mais Leandre, le temps d'y réfléchir, avait déjà eu un autre projet en cours. C'était souvent comme ça.
Ce matin là, il avait travaillé sur son fameux jeu de roues ovales pour brouettes - qui allaient changer la face du monde - prévues pour provoquer un mouvement de bas en haut lorsqu'on pousse, afin d'obtenir un effet mélangeur qui serait certainement très utile... enfin, valait mieux pas transporter des choses fragiles.
Il s'arrêta au moment même où toutes les horloges de la boutiques émirent un DONG... grave, mis à part bien sur la famille des Fantaisistes, qui caquetèrent, couinèrent, produisirent quelques notes de musiques, ou simplement extirpèrent de leurs profondeurs un panneau "C'est l'heure" - ça, c'est destiné à la clientèle malentendante.
Il était onze heures très précisément, et il était alors penché sur son petit appentis depuis le lever du soleil, absorbé par ses schémas et les bouts de matériaux qu'il assemblaient avec enthousiasme.
Il se redressa, s'étira, et, de fort bonne humeur, lança un "Dongggg" en écho à ses horloges, puis regagna la boutique.
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